Quand j'entends le mot surréalisme, je sors mon sèche-cheveux

Le point de convergence des indépendants s'avère n'être point la singularité, mais l'irréalisme. Dans cet irréalisme se déversent finalement toutes les particules de la foule dispersée par la doctrine de l'art pour l'art. Plus l'artiste autonome s'éloigne du groupe, plus il croit atteindre sa liberté, plus il s'écarte en fait du sens, qui est toujours sens commun, ou « décence commune », pour finalement retomber sur cet ensemble du monde qui sombre lui aussi dans le non-sens. Cet irréalisme, par ailleurs nommé « irréalisme libéral » (pour souligner sa dimension politique, le rappeler à une sorte de pendant du réalisme soviétique), renvoie l'abstraction et le surréalisme à une même mouvance, une mouvance générale de l'art, au siècle globaliste, fédérateur des individualités dupées par les discours sur l'impérieuse nécessité d'être libre pour bien créer ! d'être indépendant vis à vis des destinataires, des commanditaires... N'importe quoi. À elle seule, cette notion d'irréalisme suffirait à couvrir la totalité de la scène « post-moderne », tandis qu'elle se plaît à se croire insaisissable, inintelligible, chaotique... rien de tout cela, puisque l'anarchisme se trouve à l'autre extrémité du mystère.

Romain Courtois, 10 juillet 2014


Zooms From Nowhere from Chris Timms on Vimeo.

SÉQUENÇAGE / CADRAGE SÉQUENCIEL

Essentiel de photographie

Une photographie se définit surtout par ce qu'elle est un cadre. L'intensité surgit de cette délimitation. À l'intérieur, le photographe n'intervient pas : l'interaction n'aboutirait qu'à pervertir l'événement. Il ne le souhaite pas. Du moins s'il veut rester un peu honnête.
Le cadre, pense-t-il, ne fait qu'attribuer un « début » et une « fin » à la réalité intégrale. Un tel pouvoir, à priori, n'incommode pas sa vision. À partir du cadrage, pourtant, on ne peut plus davantage parler de réalité. Et pour cause, il s'agit d'art. Ni de mentir, ni de dire vrai. L'image provoque sur celui qui la contemplera l'impression irrésistiblement fausse que la réalité est simple, qu'elle l'a toujours été... Le cadrage est l'art de décapiter la complexité.

Séquençage, comme équivalent filmique du cadrage photographique

L'usage tend à limiter cette idée de photographie à l'instant figé. Comme si la capture n'en était plus une, à partir du moment où la chose s'animait dans sa cage. Au regard de ce qui vient d'être dit, on ne voit pas pourquoi cette délimitation de la réalité intégrale ne s'appliquerait pas au film. On ne voit pas pourquoi d'un « début » et une « fin » attribuée à la réalité ne découlerait pas une intensité propre ; une intensité arrachée à celle propre de l'événement en question. Ce qui est montré par un cadreur, comme nous l'avons précisé, n'est pas un propos exact de la réalité, mais une façon parmi tant d'autres de voir une même chose. Ainsi, le regard d'un énième cadreur peut-il aisément se superposer au regard du cadreur original sans pour autant montrer à voir la même chose. Cela tient du cadrage, répétons-le ; du caractère spécifiquement artistique et déterminant du cadrage, largement plus important, en photographie, que les divers aléas de nature technique qui font de l'image un simulacre de matière ou de peinture. Cadrage pur : sans intervention à l'intérieur de ce cadre ; sans autre manipulation que celle qui consiste à découper, isoler l'événement d'un événement de la réalité intégrale. Plus la probabilité est faible de ressentir face à l'événement retranscrit la même chose que ce que le cadreur original a ressenti face à l'événement réel, plus cet objet filmique est photographique. Plus l'image provoque chez celui qui la contemple le sentiment que la réalité est autrement intéressante ; personnelle.



4 mars 2014

Bimbeloterisme

S'il fallait résumer en un mot la scène artistique contemporaine, dans toute sa complexité ?

Bimbeloterisme,

Où chacun fait un étal de tous les tropes qu'il a récupérés ici et là, accoudé à celui du voisin qui en propose d'autant bon marché. 

Bimbeloterisme dont je me suis efforcé de faire ressembler « mon style »... Terme infâme aujourd'hui. 
On comprend mieux pourquoi. 

Le discours sur l'époque, sur le foisonnement des styles, des Moi, la critique des différenciations individuelles trop souvent décevantes, tiennent tout entier dans ce style : « mon style », comme disent tous ceux qui vivent sans craindre le dédain des relèves après nous. Celles-là chercheront longtemps avant d'y trouver une once de ma personne. Je n'y étais évidement pas... Où, partout présent, sauf dans « mon style », précisément !

Un style, par antiphrase. La liberté, par antiphrase. 
La totalité, coûte que coûte, pour ne surtout pas être un bibelot parmi les bibelots !  

Marot Couperin, 15 janvier 2014

Séduire, au sens de redevenir naturellement beau

La séduction en tant que telle est détestable. Je veux dire, elle rend l'homme détestable ; comme s'il voulait appréhender les opportunités quelles qu'elles soient. Un tel homme ne saurait être distingué. Non qu'il ne soit capable de percevoir la valeur des choses qui se présentent à lui, mais à cause de son attitude qui reste égale vis à vis de tout. Ce qu'il reflète alors ne peut jamais atteindre ce qu'il y a de brillant en lui. Pour autant, si j'aperçois une fille qui m'impressionne comme rarement, je suis prêt à mettre en œuvre une campagne de séduction s'étendant sur de nombreuses années. Mais toutes ces années resteront toujours peu d'efforts dédiés véritablement à paraître meilleur, puisque la plupart seront passées à me débarrasser de tout ce que la spontanéité sème de repoussant.

Marot Couperin, 11 janvier 2014
La poésie est le mode de pensée durant lequel les mots sont atteints d'histrionisme.
Le XXe siècle n'a produit aucun chef-d'œuvre. Ce qu'on en gardera, c'est l'idée qu'à cette époque la liberté fut totale ; une fresque immense devant laquelle on imagine cette foule d'artistes déchaînés, enragés, s'épuisant à tout pour n'aboutir à rien, sauf à livrer ce monument difforme à la mémoire.
La langue commune de la nation multiculturelle, c'est le double discours.

Un peuple ne possède qu'une âme,

Et le romantisme est son sanctuaire,

Le nationalisme romantique de Fichte est le plus noble et le plus innocent des nationalismes, celui qui apparaît lorsqu'il est temps d'évacuer toute l'amertume que la déception a écumée, redonner la foi, regonfler de force intérieure un peuple harassé, déboussolé et confus, et sur le point d'être tourmenté, pour toutes ces raisons. 

Il ne saurait y avoir de nationalisme "multi-ethnique", une telle chose est un non-sens, un barbarisme de moderne qui prend ses rêves pour des réalités, un fantasme, puisque l'impuissance dans laquelle le transnationalisme l'enfonce ne l'autorise qu'à gouverner ceux-ci... Le nationalisme "à la carte" est une grossièreté sans portée pratique ; il ne peut y avoir là qu'une fin opposée à la métaphysique nationale, puisque une patrie se définit comme cette substance collective qui se reconnaît dans la mission d'honorer son génie ; de le sauvegarder, de le préserver ; en vue de perfectionner l'existence selon sa définition unique de la perfection.

Le pseudo-nationalisme "multi-ethnique" est l'émanation d'esprits pessimistes ; il ne saurait être pris au sérieux, comme étant l'aspiration d'un peuple en possession de ses moyens, de sa souveraineté, de son libre-arbitre et de sa conscience... Un tel simulacre de nation ne peut avoir été qu'imposé. Et il l'a été, non par la force, mais par la ruse, le chantage, l'intimidation, le harcèlement aussi, qui continue et augmentera. 
Une telle chimère ne peut servir que de nation transitoire, dans laquelle la cohésion est factice, superficielle comme aujourd'hui en France, où la politesse et l'agressivité sont en fait les deux filles d'une même méfiance, dont disposent les puissances alentours, qui peuvent aisément jouer avec, créer des tensions, en attendant qu'elle éclate en diverses génies-destinées ; comme il en est allé des empires à la fin, et comme il en ira de ces nations synthétiques.

Aucun patriote, s'il est patriote, n'oserait soutenir des propos pareils : "je suis prêt à faire une croix tout ce que mes ancêtres on sacrifié pour moi, et je renonce à l'éternité de leur oeuvre, au nom de ma jouissance et d'un pari hasardeux avec l'avenir"... Ce serait plutôt les paroles d'un déserteur, et peu importe que le consensus serve à les transformer en ceux d'un sage.

Si on avait dit aux théoriciens de la nation que deux cents ans après leurs héritiers feraient des patchworks d'identités en appelant ça "nation", ils auraient pleuré de rire, en pensant que le futur est la nation des fous !

Marot Couperin, 13 décembre 2013

Si la cause de la guerre est le nationalisme, dans ce cas quelle est la cause du nationalisme ?...

Le discours nationaliste est une rhétorique de guerre que déverse les penseurs alertes dans le cœur de leur patrie, lorsque celle-ci est en danger, afin qu'elle relève la tête et retrouve la force de se défendre. Ceux qui, nombreux aujourd'hui, pointent du doigt ces discours comme étant des matrices de haine ne sont absolument pas les ennemis de la guerre qu'ils prétendent, et encore moins des sages aptes à prévenir ces crises dont l'Histoire est tristement criblée. Ils espèrent seulement qu'exhortant les leurs à raser les murs, ils empêcheront le sang de couler. Eux sont, inversement, des rhétoriciens de la capitulation qui ignorent à quel point le danger est immense si un peuple paraît inoffensif en face d'un autre.
La cause profonde du nationalisme reste la nature humaine, imprévisible, et sur laquelle, les bien-pensants, plus que les autres, n'ont aucune prise, puisqu'ils raisonnent hors de la réalité ; leur morale étant réduite à une esthétique de la pensée.

De toute l'histoire du nationalisme, la prise de conscience d'une nation ne s'est jamais produite arbitrairement, au hasard d'un « désir » d'en découdre, ni en vue d'intérêts particuliers et secrets, comme les conspirationnistes désirent en voir partout la cause, mais à un moment où une autre communauté se dessinait sérieusement, troublant l'horizon, ou déjà se répandait dans un espace vital autre que le sien. 
Les discours de Fichte à la nation allemande étaient de ceux-là précisément qui cherchaient à réactiver la foi d'un peuple germanique menacé, en premier lieu par son propre harassement. Ces discours, prononcés au lendemain de la défaite d'Iéna, et tandis que Napoléon s'apprêtait à jeter sa grande armée à travers toute une Europe devenue vulnérable, formaient un vœu de résistance, et le plus noble qui soit. Il en allait de même lorsque moins d'un siècle plus tard, le contre-coup du sursaut allemand avait été tel, qu'à son tour, Renan devait s'atteler à rebâtir une conscience française à partir des morceaux d'un second empire brisé par le royaume de Prusse ; ce duel franco-allemande, ce cercle vicieux, nous le savons, se répondra ainsi jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, et sera entre-temps récupérée ailleurs dans le monde, entre de nouvelles parties, comme il y en aura pour l'éternité, et toujours pour des raisons similaires : instinct de survie collective face à une menace, réaction épidermique à une humiliation.

Marot Couperin, 12 décembre 2013

Pacifisme

Le pacifisme est une tendance suicidaire de la mentalité bourgeoise, puisque tout s'avère, soit d'un côté, stratégie de conquête, soit de l'autre, résistance au harcèlement résultant de cette stratégie de conquête. Or, pour le pacifiste, la violence n'est qu'un penchant auquel il suffirait de renoncer, et le conflit, une absurdité qu'il faut savoir contourner. Ainsi, en se raisonnant et en invitant les autres à se raisonner, on avancerait vers la paix. Mais, ce qu'il croit être de la sagesse n'est qu'une parodie de « force intérieure », puisqu'il ignore que sa « foi puissante » en la paix ne découle que d'une carence de force, justement, issue du fait qu'il ne convoite rien, de part la position où il se maintient de posséder suffisamment.
Le pacifiste bourgeois est un inconscient, devenu sot à mesure qu'il croyait s'élever. Il a perdu de vue que le pacifisme n'est pas une philosophie qui se réalise à partir de sa fin, mais en commençant par atteindre un état : en faisant le vide absolu autour de soi de tout ce qui alimente la rivalité, de tout ce qui génère les ambitions de conquête ; ce à quoi il ne renonce jamais, évidemment, puisqu'il est lui-même, quoiqu'il ne le ressente plus — et c'est peut-être ici la source d'où jaillit son ignorance — prisonnier du système de la rivalité.

On ne peut donc sérieusement militer pour la paix quand on possède. C'est s'illusionner ou berner les autres. On veille sur ses biens, si on y tient ; on défend ses valeurs tant qu'on y croit, ou, si vraiment on préfère par-dessus tout ceci qui est entre nos mains, ne pas se battre, alors on cède tout avant la confrontation, mais en avouant au passage qu'en vérité on n'était plus lâche que non-violent.

Le pacifiste participe autant à la gestion de la paix que l'épicurien cultive lui-même les fruits qui satisfont ses désirs... 

Marot Couperin, 9 décembre 2013

Le devenir de l'art comme industrie

 quand sonne le glas de la « révolution permanente »

Les marques font peu à peu main basse sur la Culture. D'abord devenue une industrie au cours du XXe siècle, mais dans laquelle l'objet d'art, quoique radicalement simplifié, restait encore l'objet central, les milieux de l'art se transforment depuis quelques années en dispositifs publicitaires alternatifs, dissimulés ou décomplexés, où ce ne sont plus des œuvres qui sont vendues, mais bien, le plus grossièrement du monde, des produits destinés à la grande distribution. Dans ce circuit requinqué, prolongement de l'industrialisation de l'art, les artistes ne sont plus amenés à jouer qu'un rôle de décorateurs « philosophiques ». Cette aggravation du mercantilisme conduisant à une annihilation pure et simple du culturel, au sens où la tradition critique entendait maintenir un sens et une certaine superbe de l'exaltation individuelle, l'artiste ne saurait être davantage considéré comme ce héros des temps modernes dont le regard survole la mégalopole de son autonomie.

Les marques progressent dans ce qui s'apparente à une conquête de tous les contre-pouvoirs, et livrent là une ultime bataille contre l'intelligence, en ralliant à leur cause la dernière élite qui traditionnellement leur résistait. L'intelligence artistique ne disparaîtra pas, mais elle ne sera plus mise qu'au service de marchandises, de gadgets, d'accessoires de mode, de boissons énergisantes, de marques de bière, etc. On verra de plus en plus d'événements pseudo-artistiques ayant comme prétexte un objet dérisoire de consommation que des artistes seront chargés de farder d'une fausse profondeur, d'une noblesse empruntée à des gloires lointaines, avant de rejoindre, recouverts d'une seconde couche de mystification, les plus insipides réseaux que l'on sait voués à un seul dessein, celui d'écouler des stocks.
Aussi, on verra de plus en plus de faux musiciens remplacer les musiciens simplifiés de l'époque industrielle ; de faux chanteurs composer des chansons bidons, entièrement impulsées par les têtes pensantes de services marketing en vue d'habiller l'image de marque dont elle ont la responsabilité d'une dimension cool-turelle...


À l'issue de cette fusion-acquisition de la Culture par l'Industrie, les artistes ne seront plus seulement imprégnés de quelques tics publicitaires, comme c'est le cas depuis l'industrialisation, ils seront officiellement des publicitaires.

Roland Fonction4 décembre 2013

De la différence entre l'art et l'artisanat


L'art ne doit son existence qu'à la conservation d'une frontière avec l'artisanat. Par artisanat on entend notamment le design, l'architecture ou les arts graphiques. Il n'est pas inutile de rappeler cette différence, aujourd'hui que ces disciplines en vogue profitent de la confusion pour s'approprier un prestige qui dépasse celui qu'on devrait normalement leur attribuer. Couramment, et plus ou moins explicitement, « l'artisticité » est détournée comme une sorte de label transcendant indûment la marchandise, dans le but d'intensifier la fascination, d'habiller noblement l'orgueil du créatif. À la lumière de ceci, on comprend que beaucoup d'œuvres considérées comme de l'art seraient en réalité des œuvres artisanales, échappant à cette appellation, le créatif faisant valoir un caractère exceptionnel à un objet qui n'est rien d'autre en vérité que de l'hypermodernité.

L'œuvre d'art a cette particularité de n'être point complètement observable, elle n'est jamais finie d'être regardée, étant interminable, l'artiste ayant percé, dans le cadre restreint du tableau, des profondeurs illimitées d'expression. Par conséquent, elle ne peut jamais être entièrement consommée ; en tant que mobilier, par exemple, dont la fonction serait de décorer, elle est indémodable.

Elle est « immortelle », nous l'entendons déjà assez, mais nous savons désormais pourquoi : elle est perpétuellement en cours, même après que l'artiste ait définitivement levé la main, relâché l'effort — une sorte d'abstraction indéfiniment subtile la parcourt en lui donnant sa vie — au contraire des œuvres artisanales, dont le mérite est de l'ordre « artisanal », technique, des illustrations, des peintures qui étonnent par leur réalisme, par exemple, qui, quoique époustouflantes sur le coup, sont vues complètement, une fois vues.
Ces images qui subjuguent à un instant bref, à cause de l'ingéniosité, l'habileté, ou encore des moyens financiers faramineux qu'il aura fallu pour les réaliser, épatent déjà moins la seconde fois qu'elles sont vues ; c'est que la relève ne tardera jamais à les envoyer au loin, ces œuvres seulement capables de duper l'instant ; dans des recoins désolés de l'histoire de l'art, tandis que les œuvres d'art vrai ne cessent jamais d'être... Celles-ci ne reposent pas uniquement sur une structure, une architecture, une composition, un récit, un squelette intelligible : plus précisément encore, et de même que le rocher terne est doué d'une dimension quantique qui l'illumine en secret, l'œuvre d'art est, à son stade essentiel, en infime lecture, crépitant en sa matière.



Si ce principe apparaît clairement dès lors qu'on se penche sur une toile de Rembrandt pour l'observer de près — dans le détail de ses détails — il faut aussi être capable de le transposer aux œuvres dont la substance vivante n'est pas facilement accessible, aux œuvres dont l'organisme n'est pas littéralement dans « la pâte », comme on dit.
Si le siècle qui vient est bien celui qui voit l'artiste devoir se distinguer, non plus seulement par un « contenu » original, mais aussi par le choix qu'il fait activement du « contenant », la variété des genres d'art devenant si étendue qu'ils participent dorénavant à la signature, à donner à l'artiste son identité, il faudra que le critique dissèque chaque œuvre comme une espèce nouvelle, encore inconnue, dont le fonctionnement qui lui assure sa vitalité diffère d'une œuvre à l'autre.

Dans le cadre très spécial de l'art conceptuel, cette substance étant volontairement anéantie, on devrait la chercher dans l'âme de l'objet, ou même, plus curieusement encore, dans l'âme de l'idée, toutes les fois que cela est possible. Dans l'art filmique, la substance ne saurait se résumer au grain de l'image ou à la composition dans l'espace, car il n'y a pas là les conditions intérieures d'artisticité. Le cinéma d'art commence au moment où le réalisateur devient homme dans l'œuvre en s'emparant du montage. On attribue une artisticité au cinéma à partir d'Eisenstein : c'est le découpage qui donne sa vitalité au Cuirassé Potemkine, non plus l'action, à proprement parler. C'est à travers le découpage que s'épanouit pleinement « l'abstraction indéfiniment subtile ». Plus le montage se fait dense, comme c'est le cas dans certaines œuvres tardives de Godard qui font appel à des échantillons de films indéfiniment épars et divers, plus il semble que l'œuvre cinématographique est habitée d'elle-même, plus il semble au spectateur qu'en « infime lecture », en deça du sens voulu, abstrait ou non, une cité silencieuse et autonome, substituée à l'individu, peuple l'objet d'art. L'histoire moderne a révélé, après de nombreux siècles d'art cantonnés à la peinture, à la sculpture et à l'architecture, que de nombreux autres « contenants » ont un potentiel artistique puissant, à condition de permettre à l'artisan de s'évanouir en artiste ; dès lors qu'une immense part de l'activité qu'il consacre à l'œuvre, lui échappe en s'engouffrant dans une infinité de nervures insoupçonnées.

Marot Couperin, 5 novembre 2013

Les écoles de séduction sont des écoles de soumission


« Les écoles de séduction » sont ces endroits où le mec féministe vient compléter une personnalité déjà amplement consacrée aux femmes afin que ses dehors correspondent maintenant aussi à leurs fantasmes... La vocation au bien-être féminin et la vocation à stimuler les instincts féminins, la culture et l'instincture, s'avèrent de plus en plus contradictoires. Ces « écoles » comblent le fossé logique en enseignant à leurs élèves une fanfaronnade machiste, tandis que la société, en fond, incite toujours plus à s'inspirer des femmes en termes de stratégie, de « management », comme on dit... Tant que le mec féministe est incapable de contrevenir à la première exigence, la comédie reste la seule réponse au paradoxe, au grand écart forcé, entre sa culture et son instincture, entre galanterie mentale en société et virilité spectaculaire dans l'intimité du couple. L'école de séduction est une sorte d'école de la contorsion. On y enseigne au mec féministe l'art de se plier en quatre pour le bonheur à géométrie variable des dames contemporaines.

Le mec féministe « apprenti dragueur » s'inscrit dans cette école pensant sûrement se soustraire à la fâcheuse impression que les villes sont livrées au tout-féminin ; en vue alors de dompter les femmes au moins sur le terrain de la prédation sexuelle. Il fait fausse route. En réalité, s'il se débarrasse de quelque chose, c'est surtout de vieilles ficelles sentimentales, qui, trop usées, ne parviennent plus à surprendre efficacement la femelle dernier cri. Une fois qu'une posture s'est massivement démocratisée, il faut changer, souvent pour l'inverse strictement, c'est suffisant.

En apprenant à interpréter devant elle tel ou tel personnage du registre caricatural de la domination, le mec ne peut pas s'incliner plus aux désirs des femmes, et, inéluctablement, il achève de désintégrer son identité dans sa quête permanente de consécration de la femme. Il vise d'être à son tour « l'épouse modèle », prêt même à assimiler des traits orduriers qu'habituellement il exècre (« fuck that guy ! »), qui l'exaspèrent moralement, mais observant là et scrupuleusement des fantaisies féminines comme si elles étaient la loi de la gravitation.

Il ne lui viendrait plus à l'esprit de juger quoi que ce soit ridicule dans tous ces gestes qu'on lui recommande pour faire un carton auprès des femelles (de même qu'une épouse que la dépendance rend dévouée ne voit pas ce qu'il y a d'étrange dans le fait d'avoir à se déguiser en prostituée pour susciter l'érection de son époux, le tombeur post-produit n'a pas conscience que sa puissance est désormais restreinte à une parade aphrodisiaque, qu'elle a la même valeur qu'un strip-tease). Mais peu importe, le ton est donné dès lors que l'école dit enseigner « la séduction » : il ne s'agit pas d'une école apprenant à devenir homme, encore moins homme de pouvoir, au charisme naturel, et pour qui les femmes ne sont que des convoitises périphériques. Et pourtant, c'est souvent de ce simple état, qu'elles abondent, disponibles.


R. Fonction, 27 octobre 2013

L'homme protéiscient


Je profite à fond de ma liberté d'expression, le temps qu'il lui reste. No limit. D'ici deux ou trois générations ce sera fini. Il y aura tellement de cercles idéologiques conflictuels, qu'en soi, cette diversité sera totalitaire. L'Autre se muera, à la croisée d'un autre, en terreur involontaire, mais incontournable, étant réciproque. L'appareil judiciaire veillera surtout à l'arbitrage relationnel, à démêler les dires et les pensées, à entretenir des frontières fermes entre les sensibilités. L'individu, d'où qu'il provienne, sera forcé de s'adapter à cet environnement où la tolérance règne en maître, en seigneur incontestable, en échange d'une sécurité factice : la garantie pour les sujets d'être à l'abri des vexations...

Comme le voyageur redouble de prudence en territoire inconnu, explore le reste du monde sur la pointe des pieds, lui, le sera, simplement, en descendant de chez lui. À force de modifier son discours en fonction des circonstances, c'est à sa conscience même qu'il finira par renoncer ; faisant de la cohérence une impossibilité pratique, au même titre que la sincérité le devint un peu avant, il naîtra alors un homme nouveau au profil psychologique de type protéiscient.

Marot Couperin, 22 octobre 2013

La virilisation du spectacle


Difficile de dire ce qu'est la virilité. La chose certaine, c'est ce qu'elle n'est pas : 
une posture face aux femmes, 
le contrecoup de la mode métrosexuelle dans la publicité... 


Peace and Love


Que la paix ne puisse s'obtenir qu'au prix d'un mur, ceci est trop difficile à admettre pour le moderne obnubilé d'amour. On annule facilement l'une et l'autre notion, la paix et l'amour, dès lors qu'on se met à les confondre ; le slogan « peace and love » y a probablement contribué. La paix réunit des intérêts distincts, l'amour des intérêts semblables. L'amour véritable n'est possible qu'à condition de paix, et la paix, paradoxalement, se maintient par des démarcations : sans espace propre, la haine s'assure de triompher ; mais peu importe, le moderne ne s'interdirait pas non plus de confondre l'amour avec la haine en justifiant son désarroi par l'intense fatalité de la Passion...
En voulant précipiter l'amour, en voulant s'assurer qu'il ne s'abstienne nulle part, la mentalité moderne saccage, abat imprudemment les frontières, les cloisons, tout ce qui s'était délicatement édifié et organisé en vue de cultiver cette précieuse paix, cette stabilité sociale, garante, au même titre que la stabilité politique, de sérénité, condition première de toute projection collective dans un effort. En mélangeant au prétexte de précipiter la tolérance, « l'ouverture », en galvaudant ces honnêtes aspirations, le simplisme moderne ne fait qu'inonder la société de haine et de futures discordes. 

GT, 16 octobre 2013

Damien Hirst (mail à une copine journaliste)


« Depuis " Gangnam Style ", la stupidité est en crise. L'industrie de la Culture ne parvient plus à choquer, de quelque manière que ce soit. C'est comme si les artistes étaient arrivés au terme de leur stock de folie. L'extrémité de leur démarche extrême, commencée il y a plus d'un demi siècle, semble atteinte : c'est la saturation !... On ne peut guère aller plus loin dans la provocation, la vulgarité, la facilité et la gratuité. Cet enfoiré de Psy a fait péter la bulle qui consistait à spéculer sur la connerie des gens. Ces derniers se sont habitués à tout, plus rien ne leur fait d'effet. Beaucoup de collègues pensent à décrocher pour se consacrer à une activité anodine. Prochainement, Orlan ouvre un salon Jean-Claude Biguine à Toulon. « Ça commence à bien bouger là-bas », qu'elle m'assure. Jeff Koons est devenu serveur dans un bar à huîtres à Montparnasse. Wim Delvoye l'a vu. Lui, il s'est mis au poker en ligne. Il a raflé deux cents dollars en un mois !... Abramović, elle, livre chez Planet Sushi. Un autre, un pote transhumain qui « vit et travaille » à Hong Kong, a envoyé son CV à une agence HSBC près de chez lui ; on ne lui a proposé qu'un poste au guichet, mais il était fou de joie... ce con... C'est une véritable tragédie. Mes fœtus exhibés à Doha sont quasiment passés inaperçus (une séquence qui représente la naissance, La Vie, tu te rends compte ? LA LIFE, bordel ! Le moment précis où l'enfant s'extrait de l'utérus ! un bébé géant ! Sans compter que j'appelle ça des « relics », lol ! Trop paradoxal, le concept...) : sur Rue 89, aucun commentaire outré, aucun n'enrage, personne pour s'offusquer de l'obscénité « où s'enfoncerait encore l'art contemporain » ou se moquer de ce qu'ils supposent bêtement du mauvais goût ; rien. Ils s'en battent le coquillard. On m'y traite tout au plus de suceur de pétromonarques, mais à l'instar de n'importe quel homme de pouvoir... Les temps changent : me comparer, moi, à un vulgaire politicien... ce n'est pas gentil, je trouve... Finissons d'un coup d'éclat. L'ultime ! J'ai retrouvé un vieux caméscope DV ; tu filmeras la « performance », si t'es d'accord. On va leur montrer c'est qui le plus foufou ! Sur l'île de Skye, on choisira la falaise la plus haute. Ambiance inquiétante, on ira tôt, il fera froid. Je plongerai nu dans la brume — saut périlleux fœtal — un bouquet de dynamites enfoncé dans le fion. J'essaierai de crier un truc marrant avant d'exploser : les spectateurs seront sidérés comme jamais ils ne l'ont encore été. Je vois d'ici les gamins mimer la scène en boucle lors des récrés du monde entier. J'espère bien crever le plafond des deux milliards de vues. » Traduit de l'anglais par Roland Fonction.


On se fait chier dans une société de marchés


Il faut le dire : on se fait énormément chier dans une société de marchés. La véritable finalité pour les acteurs d'un tel système ne peut jamais être autre chose que d'écouler, épuiser des stocks s'allongeant à mesure d'habileté à écouler des stocks ; peu importe ce qu'ils sont... Toutes les tentatives pour essayer d'élever le niveau, de rompre la répétition par la maturation, en subtilité ou en spiritualité, sont vouées à être fauchées par les torrents de la quantitativité. La seule aristocratie possible en ce monde est donc, et c'est déplorable, celle qui accepte ce mécanisme simple à en mourir d'ennui en jouant le jeu à fond jusqu'à en perdre la tête : elle émerge du tournis collectif où se déverse exclusivement la puissance des héros commerciaux. Les autres, par leur effort surhumain pour résister, au sacrifice de leur capital s'amenuisant avec les décennies qui passent en écrasant le « superflu », auront, s'ils ont la chance de correspondre, au hasard d'une mode, par exemple, l'honneur de voir leur sang couler sur la marchandise afin de la colorer et élever un peu cette insipidité qui constitue l'essentiel de sa chair. Dans tous les cas, le noble d'hier tend toujours plus à équivaloir le prolétaire de toujours. 

Marot Couperin, 14 octobre 2013

Pourquoi les femmes décident ?


Sur le marché de l'emploi, un taux de chômage élevé fait que les demandeurs accourent nombreux autour d'une même place à pourvoir. Il y a déséquilibre dans le « rapport de forces ». En conséquence, plus l'offre est rare, plus la demande tend à accepter les contraintes et les exigences que l'employeur impose. Sur le marché de la sexualité, c'est le taux de branlette élevé qui donne à la femme ce statut qu'on lui connaît. 

Marot Couperin, 7 octobre 2013
Facebook a aboli l'ennui, tandis que dehors Paris s'effondre. Ça tombe bien, j'avais plus tellement envie de sortir...