Féminisme, la galanterie enfouie

Le féminisme, c'est la politique au féminin. Tu demandes, tu obtiens. « Chéri, je voudrais manifester contre toi, demain. — Bien sûr, mon petit cœur, t'as besoin de combien pour les banderoles ? »

La frontière qui sépare le féminisme de la galanterie est en fait très fine. Il arrive même que féminisme et galanterie se confondent. En tout cas, le féminisme est loin d'un terrassement de l'ancienne façon de représenter publiquement les bons égards que l'homme voue à la femme. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le féminisme pourrait n'être au fond qu'une évolution polie de cette galanterie devenue péjorative au regard du temps, alors que son mécanisme véritable, lui, persiste intact au sein d'une carrosserie entièrement neuve. La galanterie, hommage permanent de la rectitude envers la délicatesse ; l'homme servant la femme convoitée ou pas, en réalité serait seulement devenue une autre galanterie, plus adaptée, plus complexe et ainsi plus dure à déloger, au détriment équivalent de l'homme persuadé ne plus servir la femme, et surtout de la femme ne plus rien lui devoir, puisqu'il est égal à l'homme, au fond, de servir ou pas la femme, tant qu'il peut continuer d'honorer la mystique qu'il attribue aveuglément à toute femme... En réalité, la galanterie, si elle a bel et bien été abattue en plein vol, un jour de 1949, elle s'est aussitôt réincarnée dans sa coquille d'origine en des désirs certes nouveaux mais toujours autant féminins.

La galanterie cérémonieuse se devait de devenir une galanterie intellectuelle, indécelable, parce que l'esprit du temps exigeait des derniers privilèges qu'ils le soient. En effet, au fond, la galanterie étouffait de honte la femme cultivant tous les fantasmes collectifs de luttes des classes, de révolutions exotiques, de révoltes à travers le monde contre l'oppresseur, l'ordre et la puissance en tous genres, et qui ne manquaient pas d'exciter l'identification et le complexe d'infériorité qui va avec, ou le sentiment seulement coupable qui en découle pour une femme, aussi ardente que cherche à l'être Beauvoir, de ne pas devoir travailler quand la figure la plus emblématique de son époque est celle de l'exploité qui parviendra un jour à transcender sa condition... On se remémore alors facilement Beauvoir accompagnant l'époux Sartre à Cuba, sa place aux première loges de Fidel Castro et Che Guevara en tenues de combattants, eux deux pourtant aux antipodes du nouveau mâle qu'elle exhortait à surgir de son Deuxième Sexe, et on perçoit mieux alors les sentiments véridiques qui guettaient cette fille depuis le début, tout l'embarras d'une bourgeoisie intellectuelle et empathique qu'elle incarne parfaitement dans la pure lignée de Victor Hugo. On n'est pas étonné alors que ce spectacle fascinant de la misère sociale ne finisse par trouver issue en elle, et pour une unique fois, au seul endroit où il lui serait accordée, l'Injustice, une victoire contre l'oppresseur, quitte à l'imaginer, d'un coup d'analogie magique, et à partir de là, chaque fois que le besoin s'en ferait sentir, et jusqu'à ce que, même, cette volonté de femme aspirant à être considérée comme un homme, n'éclate de nos jours en milliers de petits caprices de jeunes filles...

Qu'on ne s'y trompe donc pas, le féminisme actuel poursuit le même effort que la galanterie d'hier, celui d'honorer la féminité en répondant aux sollicitations forcément évolutives de son contexte, et en prenant soin de ne jamais se méprendre sur le cadeau à offrir ; qu'il s'agisse de lui ôter des contraintes physiques ou des obstacles de sa vie professionnelle, ou encore de faire de l'État sa garde spéciale rapprochée ; la logique étant bien la même, celle de ne jamais la dévêtir complètement de son statut particulier. La seule différence avec hier réside dans le fait que la femme contemporaine formule elle-même ses désirs, existentiels ou autres, décide l'ampleur de ceux-ci, et en dehors ou à l'intérieur du cadre préétabli par la coutume galante traditionnelle, cumulant ainsi les conditions, plutôt qu'ajustant la sienne à celle supposée plus élevée de l'homme... En sorte que ce féminisme subrepticement galant débouche sur un dédoublement de la condition féminine, comme il y a une double nationalité, ou encore des gens qui retournent leur veste tant qu'elle présente l'avantage de deux surfaces présentables... Ce cumul des conditions permet à la femme actuelle de faire valoir son essence moderne ou traditionnelle selon qu'une situation particulière paraisse plus favorable à l'une ou à l'autre de ces conditions coexistant en un paradoxe utile. En ce sens, il n' y a pas plus d'égalité entre hommes et femmes qu'à l'époque de la galanterie, puisque l'homme n'a pas renoncé à servir la femme mieux que lui-même, et même face au danger de mort, et la seconde ne décline ce traitement de faveur que si bon lui semble. 

En définitive, le féminisme est une forme de parodie politique où des désirs rodés par les millénaires de charme surent toujours trouver les oreilles suffisamment complaisantes pour accepter d'entendre à leur place des aspirations sociales profondes. Ces désirs à la mode ne sauraient être autre chose du fait du postulat mensonger d'un rapport entre hommes et femmes comparable à celui de l'opprimé et de l'oppresseur, quand il s'agit depuis toujours d'un schéma presque opposé, s'apparentant à un rapport extrêmement fragile de serviabilité réciproque et dont les déséquilibres de part et d'autre, s'ils ne se comblent pas eux-mêmes, sont difficiles, voire périlleux, à ajuster d'une main politique. 


RF, 9 janvier 2013

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