… quand sonne le
glas de la « révolution permanente »
Les
marques font peu à peu main basse sur la Culture. D'abord devenue
une industrie au cours du XXe siècle, mais dans laquelle l'objet
d'art, quoique radicalement simplifié, restait encore l'objet
central, les milieux de l'art se transforment depuis quelques années
en dispositifs publicitaires alternatifs, dissimulés ou décomplexés,
où ce ne sont plus des œuvres qui sont vendues, mais bien, le plus
grossièrement du monde, des produits destinés à la grande
distribution. Dans ce circuit requinqué, prolongement de
l'industrialisation de l'art, les artistes ne sont plus amenés à
jouer qu'un rôle de décorateurs « philosophiques ». Cette
aggravation du mercantilisme conduisant à une annihilation pure et
simple du culturel, au sens où la tradition critique entendait
maintenir un sens et une certaine superbe de l'exaltation individuelle,
l'artiste ne saurait être davantage considéré comme ce héros
des temps modernes dont le regard survole la mégalopole de son
autonomie.
Les
marques progressent dans ce qui s'apparente à une conquête de tous
les contre-pouvoirs, et livrent là une ultime bataille contre
l'intelligence, en ralliant à leur cause la dernière élite qui
traditionnellement leur résistait. L'intelligence artistique ne
disparaîtra pas, mais elle ne sera plus mise qu'au service de
marchandises, de gadgets, d'accessoires de mode, de boissons
énergisantes, de marques de bière, etc. On verra de plus en plus
d'événements pseudo-artistiques ayant comme prétexte un objet
dérisoire de consommation que des artistes seront chargés de farder
d'une fausse profondeur, d'une noblesse empruntée à des gloires
lointaines, avant de rejoindre, recouverts d'une seconde couche de
mystification, les plus insipides réseaux que l'on sait voués à un
seul dessein, celui d'écouler des stocks.
Aussi,
on verra de plus en plus de faux musiciens remplacer les musiciens
simplifiés de l'époque industrielle ; de faux chanteurs composer
des chansons bidons, entièrement impulsées par les têtes pensantes
de services marketing en vue d'habiller l'image de marque dont elle
ont la responsabilité d'une dimension cool-turelle...
À
l'issue de cette fusion-acquisition de la Culture par l'Industrie,
les artistes ne seront plus seulement imprégnés de quelques tics
publicitaires, comme c'est le cas depuis l'industrialisation, ils
seront officiellement des publicitaires.
Roland Fonction, 4 décembre 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire